Après "De mère en fille" présentant Diana, l'aînée des deux jumelles Janeway issues de "Quarantaine et conséquences", il me paraissait naturel de présenter la seconde jumelle, Virginia, dans ce petit opus.
La citation présentée dans le texte est de Nicolas Boileau-Despréaux.
De père en fille
Starfleet Academy, 2394Virginia Janeway, assise devant une console, tentait vainement de mettre au propre un mémoire qu’elle écrivait pour la fin de sa troisième année d’Academy. Contrairement à sa sœur jumelle, qui ne rêvait que de devenir capitaine en suivant le modèle maternel puis paternel, elle avait intégré la filière scientifique, exprimant ainsi clairement les gènes Janeway et ravissant sa grand-mère.
Virginia avait toujours été intéressée et curieuse pour les sciences depuis sa toute petite enfance, il fallait dire qu’elle trouvait sur le
Voyager de quoi contenter ce penchant. Depuis qu’il était rentré sur Terre, elle avait dû se contenter de livres et de quelques simulations, largement insuffisant pour étancher sa soif de savoir. Sa mère avait trouvé la solution en l’inscrivant aux cours pour enfants du Hawking Institute à l’âge de huit ans. Même encore maintenant, Virginia convenait que c’était cela qui l’avaient aidée pour les tests d’entrée à l’Academy.
Jusque-là, elle ne s’en était pas trop mal tirée, mais elle ne parvenait pas à présenter correctement les résultats de ses expériences. Plutôt douée pour les mathématiques, talent qu’elle avait indéniablement hérité de sa grand-mère, elle n’aimait guère devoir écrire. Et pourtant, on lui avait demandé un mémoire de vingt cinq pages, une épreuve pour elle.
Gagnée par l’énervement, elle enregistra ses données, éteignit la console et résolut d’aller marcher un peu dans les jardins de l’Academy afin de calmer quelque peu son esprit bouillonnant. La contemplation de la nature avait toujours eu cet effet sur elle, et son père lui avait appris à apprécier et à développer ce goût.
Dehors, le soleil réchauffait les essences rares cultivées par Boothby et elle prit plusieurs longues inspirations avant de marcher un moment, puis de s’asseoir sur un banc au soleil avec un soupir d’aise. Malgré la présence d’autres étudiants, il n’y avait là aucun brouhaha, juste du calme qui lui faisait le plus grand bien. Pour un peu, elle se serait presque endormie, d’autant plus qu’elle manquait furieusement de sommeil.
Pourtant, une voix très familière lui fit ouvrir les yeux.
« Hé bien, Virginia, c’est comme ça que tu travailles ? »
Le capitaine du
Voyager Chakotay, son père, était penché sur elle, un sourire narquois sur le visage.
La jeune fille se redressa immédiatement et considéra d’un regard étonné son père.
« Qu’est-ce que tu fais là, papa ? »
Chakotay s’assit près de sa fille et déposa un baiser sur sa joue.
« On m’a demandé de venir faire une conférence sur le quadrant Delta. Je ne l’ai dit ni à ta sœur, ni à toi parce que je ne pensais pas avoir le temps de vous voir, et je t’ai croisée par hasard. Que fais-tu dans le jardin à cette heure-ci ? Tu n’as pas de cours ? »
La jeune fille croisa les jambes, ramena une mèche de ses longs cheveux auburn légèrement ondulés derrière son oreille et finit par dire :
« J’avais besoin d’air, je n’arrivais pas à rédiger mon devoir… »
Chakotay hocha la tête. Il savait que sa fille cadette n’affectionnait pas du tout l’écrit, mais il savait qu’être scientifique c’était pouvoir exprimer clairement sa pensée, aussi bien à l’écrit qu’à l’oral. Virginia était indéniablement une tête bien faite mais il lui manquait ce déclic.
Il sourit à la jeune cadette d’un air indulgent et expliqua :
« Je vois que tu n’es pas ma fille pour rien, vraiment…j’avais exactement le même problème que toi lorsque j’étais étudiant… »
Il s’en souvenait parfaitement bien, même cinquante ans après…
Starfleet Academy, 2344Enseveli au milieu d’une pile de PADD sur une table de la bibliothèque, Chakotay tentait laborieusement de mettre au propre ses idées pour un devoir qu’on lui avait demandé d’écrire sur les différentes procédures de contact. Il n’avait aucun problème dans les matières plus pratiques comme le pilotage, où il excellait, ou le combat à mains nues, mais les sciences et tout ce qui était théorique l’ennuyaient un peu. La seule matière scientifique pour laquelle il avait un peu de goût était l’archéologie.
A presque seize ans, l’adolescent peinait à savoir comment mettre en ordre à l’écrit dans un ordre plus que précis tout ce qui lui venait en tête. Il avait un très bon raisonnement, mais aucun de ses arguments ne portait faute de pouvoir le rendre percutant en l’exprimant clairement.
Il se retint de jeter le PADD qu’il tenait sur la table et une lueur de colère ainsi que d’impuissance passa dans son regard sombre. Si c’était ça l’Academy, passer des heures à ce genre de choses futiles, il aurait bien mieux fait de rester sur sa planète.
« Un problème, cadet ? », dit une voix derrière lui.
Il se retourna et reconnut l’un de ses professeurs. Le lieutenant-commander Tenok se trouvait là. Le grand Bolian l’observait d’un air énigmatique mais néanmoins affable. Son regard semblait percer l’âme de l’adolescent auquel il finit par dire :
« Venez avec moi… »
Intrigué, Chakotay le suivit et le Bolian l’emmena dans les jardins. Il lui laissa l’entière initiative de parler le premier mais, comme le jeune homme ne l’osait pas, il finit par dire :
« Je sais ce qui vous soucie, cadet Chakotay : vous êtes un esprit brillant mais votre cerveau va beaucoup plus vite que votre expression écrite… »
Le jeune homme hésita et finit par acquiescer avant de dire :
« Je…je ne parviens pas à orienter et à discipliner mes pensées. J’essaye les techniques de concentration de mon peuple, mais cela ne fonctionne pas… »
Il ajouta :
« Je ne comprends pas, il me semble qu’il y a quelque chose qui ne va pas chez moi puisque je n’arrive pas à exprimer correctement mes pensées à l’écrit… »
Le Bolian eut un sourire.
« Non, pas du tout. Tout d’abord, vous devez accepter que votre logique soit vôtre, personne n’a la même vision des choses. Ensuite, passer de la pensée à l’écrit nécessite une certaine discipline supplémentaire qu’il vous reste encore à acquérir. Un auteur Terrien a dit : « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément ». Vous concevez bien, mais il vous reste encore à apprendre à l’énoncer clairement… »
Le regard sombre de l’adolescent se posa sur son interlocuteur avec de l’interrogation dans le regard. Il avait compris ce qu’on venait de lui dire mais il ignorait comment mettre cela en application.
« Mais, monsieur…comment puis-je faire cela ? », questionna-t-il.
Le Bolian croisa les bras avant de dire :
« En ralentissant dans un premier temps votre mode de pensée. Une idée à la fois. Notez-la puis, une fois ceci fait et votre réflexion achevée, mettez tout cela en ordre. Procédez par ordre et petit à petit. Progressivement, votre esprit s’habituera à cette gymnastique… »
Pour la première fois, la pression qui pesait sur les épaules de l’adolescent se fit plus légère, et il se redressa avec un sourire.
« Je vous remercie pour votre aide, monsieur… »
Le lieutenant-commander resta tout de même sérieux mais sourit légèrement.
« Mais de rien, cadet. Allez à présent, et terminez votre devoir en procédant comme je vous l’ai dit, vous devriez avoir moins de peine… »
Chakotay salua règlementairement et revint à sa table. Il prit une grande inspiration et, comme on le lui avait conseillé, se concentra sur une seule idée à la fois. Il les écrivit et éprouva ensuite beaucoup moins de difficultés à les classer pour en faire un argumentaire cohérent et présenter ses idées de façon claire. Il lui fallut encore plusieurs heures de travail, mais enfin il put se déclarer satisfait de son devoir.
Au fur et à mesure, il constata que la gymnastique mentale devenait de plus en plus facile et il cessa de craindre à jamais les devoirs écrits pour au contraire les apprécier…
Alors qu’il sortait de ses pensées, il surprit le regard bleu de sa fille, plein d’interrogation, posé sur lui :
« Comment as-tu surmonté le problème, papa ? », lui demanda-t-elle.
Chakotay croisa les bras.
« On m’a aidé, Virginia, et on m’a dit cela : il faut ralentir ta pensée, une idée par une idée, écris-la à chaque fois et tu verras que cela sera ensuite plus facile pour les classer. Cela est adaptable quasiment à toutes les matières, y compris les plus pointues… »
La jeune fille fronça les sourcils et finit par dire :
« Je ne vois pas comment l’adapter à la présentation de résultats scientifiques… »
-« Mais si, réfléchis… »
C’était le ton qu’il utilisait quand elle était petite pour l’encourager, et cela lui fit comme un électrochoc. Mais bien sûr qu’il y avait un moyen !! Il suffisait d’utiliser les intitulés des résultats et d’en faire ceux des paragraphes ! Son plan ainsi en deviendrait plus lisible. Pourquoi n’avait-elle pas trouvé cela avant ?
Chakotay perçut un changement dans le regard bleu de Virginia. Il connaissait cette expression, sa mère l’avait aussi lorsqu’elle avait pris une décision importante.
La jeune fille tourna la tête vers lui :
« Je sais ce que je vais faire…merci, papa… »
Il lui sourit. Ah, l’enthousiasme de la jeunesse…
Elle acheva :
« Je vais retourner travailler. Salue tout le monde sur le Voyager pour moi, et maman si tu la vois… »
-« Compte sur moi. Prends bien soin de toi et n’oublie pas tes injections trimestrielles ! »
Virginia eut un soupir. Décidément, son père ne pouvait jamais s’empêcher de s’inquiéter pour elle. Bon, c’était vrai qu’elle était née très prématurée et qu’elle n’avait survécu que par miracle, mais ce n’était pas une raison.
« Papa, j’ai presque vingt ans, je ne suis plus un bébé ! »
Chakotay rit.
« Je sais bien quel âge tu as, mais je te connais aussi très bien, Virginia… »
La jeune fille leva les yeux au ciel, embrassa son père et fila vers le bâtiment où se trouvait sa chambre, laissant Chakotay amusé. La cadette de ses filles était une très bonne scientifique, mais elle avait parfois ce genre de mouvement impulsif. Dès qu’elle pensait à quelque chose, il fallait qu’elle le fasse et cela avait toujours été, à un tel point que Kathryn et lui s’étaient parfois demandé de lequel d’entre eux elle pouvait bien tenir cela. Enfin, s’il avait pu l’aider, c’était bien cela l’essentiel…
Une fois arrivée dans sa chambre, Virginia se remit au travail. Elle reprit tous ses diagrammes, nota leurs titres et établit ainsi un squelette de son travail. Avalant une gorgée de café, elle continua et, idée par idée, rédigea les paragraphes accompagnant les diagrammes, un par un. Elle ressentait encore un peu de confusion mais beaucoup moins, et il lui suffisait d’une longue inspiration pour se focaliser sur l’idée présente. Elle se rendit compte qu’en voulant faire tout à la fois elle se dispersait et que cela donc desservait son travail.
Il lui fallut plus de cinq heures de travail pour tout terminer mais, enfin, alors que la soirée s’avançait, elle y mit le point final…
Deux semaines plus tard, le capitaine Chakotay, assis dans sa ready room, reçut un paquet. Il contenait un collier indien qu’il cherchait depuis longtemps pour sa collection et ces simples mots :
« Je crois que tu as sauvé ma carrière. Devoir noté optimum. Merci. Virginia. »Il éclata de rire. Sa fille cadette avait toujours eu ce sens théâtral tout en gardant une sorte de sobriété qui lui était toute personnelle. Il savait qu’elle réussirait, elle avait juste eu besoin d’un peu d’aide, comme lui en avait eu besoin autre fois. Il eut l’impression avec satisfaction que cette fois la boucle était bouclée…
Il se mit en devoir de lui répondre alors que, dans un flot d’étoiles, le Voyager filait vers une nouvelle mission…
FIN