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Le printemps arrivait à grand-pas. Les premières jonquilles avaient fait leur apparition, les oiseaux chantaient à qui mieux-mieux, les jours se rallongeaient. Les petits lapineaux tout cocos meugnons pointaient timidement le bout de leur nez hors du terrier parental, prêts à découvrir les merveilles que le monde extérieur avait à leur offrir.
Le cheval de Groumph passa au galop sur les jonquilles. Sur ses talons, l’elfe sans nom joua de son arc et les pépiements des oiseaux se transformèrent en cris d’agonie, au fur et à mesure que les flèches de l’elfe trouvèrent leurs cibles, c’est-à-dire à chacune de ses tentatives. Les petis lapineaux tout cocos meugnons se transformèrent en bouillie informe quand le nain Bus les écrabouilla de son pas pesant. Le dernier membre de l’expédition de secours fit tomber de la neige rien que pour faire chier le printemps et pour ne pas être en reste de ses compagnons. Son nom était Brax et il était magicien.
Ainsi galopaient les quatre héros vers leur destin ! Hein ? Ah oui, pourquoi l’elfe n’a pas de nom ? En fait, à sa naissance, ses parents l’avaient trouvé tellement beau qu’ils l’avaient appelé Trognon. Au fur et à mesure qu’il grandit, il en eut marre de se faire traiter de
trognon de pomme, aussi décida-t-il de changer légèrement son nom, en en supprimant la première lettre. La vie du famélique Rognon fut un enfer. Il reprit la même technique. Ognon fut malheureux à en pleurer. Gnon dut en distribuer quelques-uns pour se faire respecter. Non fut un anti-conformiste. On fut plus sociable mais source de quiproquos (– « On se les fait, ces sales nains ? » – « Bah, vous pouvez venir aussi, les gars »). Finalement, N ne trouva jamais l’amour et décida de ne pas s’appeler.
Bon, on va pas se la jouer Seigneur des Anneaux non plus, sinon il faudra une tétralogie pour arriver au bout de l’histoire, avec intrigues parallèles et tout le toutim. Toute la magie de l’écriture consiste en des astuces narratives de la part du trop malin auteur, telles que les
Un peu plus tard, les
Deux jours passèrent, ou autre
Après moult péripéties et affrontements d’orcs-trolls-colleurs d’affiche du Front National (rayer la ou les mentions inutiles, ou pas, d’ailleurs, mais c’est toujours bien de faire participer son lectorat en le rendant un peu acteur de l’histoire), nos héros se retrouvèrent dans la Plaine Desséchée, à portée de vue de la Tour de Glou Glou.
Entre eux et la tour se dressait une colline de belle taille, et l’elfe sans nom ironisa sur la toponymie locale :
– Ils appellent ça la
Plaine Desséchée, or il y a une colline dessus. Il leur manque un grain, dans ce pays, ou quoi ?
– Je ne pense pas, rétorqua le magicien Brax en désignant du doigt un champ de blé non loin de là.
Dès que l’ange qui n’était pourtant pas là eut finit de passer sur cette scène, le nain Bus, qui n’avait pas la tête dans les nuages, s’écria :
– Ce n’est pas une colline, c’est un dragooooooooooooooooooooon !
Et de ce fait, juste pour l’effet de style, le dragon se redressa en déployant ses ailes et cracha du feu vers le ciel.
– Oh la belle rouge ! fit l’elfe sans nom.
– Quelqu’un a pensé à prendre les merguez ? demanda Brax.
– Ou une lotion anti-coup de soleil d’indice de protection 5 000 ? fit Bus.
–
En tout cas,
Nous voilà dans le caca. – MON NOM EST DUMBO, dit le dragon d’une voix forcément rocailleuse et vachement impressionnante.
Qui plus est, s’il puait méchamment du bec, aucun des quatre courageux mais pas téméraires aventuriers n’eut le cœur à le lui faire remarquer.
–
Ce nom-là
N’appartient-il pas
À un éléphant
Volant ?– CERTES, MAIS IL EST DESTINÉ À ME RENDRE PLUS SYMPATHIQUE AUX YEUX DU MONDE. ELLIOTT ÇA MANQUAIT DE SÉRIEUX, FAFNIR NE PEUT SE PRONONCER QUE SI ON N’A PAS DE DENTS, ET ÉRAGON VIENT D’UNE FAUTE D’ORTHOGRAPHE. VOUS CROYEZ PEUT-ÊTRE QUE C’EST SIMPLE DE SE TROUVER UN NOM POUR UN DRAGON ?
– Pas plus que pour un elfe, je pense, répondit l’elfe sans nom.
– BON, QUELQUE CHOSE À DIRE AVANT QUE JE VOUS CARBONISE ? UNE DERNIÈRE LETTRE À ENVOYER À MAMAN ?
– Quoi, on n’a même pas le droit à une épreuve, un rite initiatique, une énigme ou un truc du genre ? s’insurgea Brax.
– J’AI UNE TRONCHE DE SPHINX, PEUT-ÊTRE ?
– Heu… par la forme du nez, peut-être, proposa Bus.
–
Point nous ne faillirons,
Dragon,
Et à ta sale face
Nous allons faire pleurer sa race !– Là, tu y vas peut-être un peu fort, non ? s’inquiéta l’elfe sans nom. Il pourrait se vexer, tu aurais pu rajouter un « monsieur le dragon » à la fin de ta tirade.
–
Monsieur le dragon
A une tronche de fion,
Le charme d’un thon
Et est un gros con !Ces farouches bravades énoncées, Groumph s’empara de son espadon et, pour la beauté du geste, tira sur les rênes de son cheval pour le faire se dresser sur ses pattes arrières. Sorti de nulle part, un éclair traversa le ciel pour donner encore plus de profondeur à cette scène magnifique. Et il disparut sous le déluge de flammes qui jaillit à ce moment-là de la bouche de Dumbo.
Les flammes refluèrent vers le faciès du fieffé faux jeton de dragon furieux (exercice ludique : prononcez cent fois cette phrase pour travailler votre élocution). Les squelettes noircis de Groumph et de son cheval n’avaient pas changé d’un iota de leur posture de défi.
L’intelligence des trois survivants leur fit comprendre que leur vie était sérieusement menacée, aussi se mirent-ils en branle et attaquèrent-ils courageusement Dumbo.
L’elfe sans nom décocha flèche sur flèche, qui toutes trouvèrent leur cible (en même temps, l’expression « manquer une vache dans un couloir » paraît bien dérisoire à côté d’un dragon aussi gros qu’une colline). La postérité dira de lui qu’il a inventé l’acupuncture pour dragons.
Le nain Bus, faisant tournoyer sa hache de bataille au-dessus de sa tête, se mit à courir vers Dumbo en poussant un rugissement furieux. Bon, comme c’est un nain, il a de petites jambes, aussi était-il parti pour mettre énormément de temps à atteindre sa cible (genre Olive et Tom qui traversent le terrain pendant tout un épisode).
Quant à Brax, il lança une incantation sur Dumbo au moment où celui-ci allait lui cracher son feu mortel. À la place des flammes escomptées, des glaçons géants béèrent de la gueule monstrueuse du …euh… monstre.
L’un de ces glaçons tomba droit sur Bus, qui ne le vit pas venir et fut écrabouillé sur le coup. Brax bredouilla un « oups » de bon aloi, et des petits lapineaux tout coco meugnons, qui assistaient à la scène du haut du paradis des petits lapineaux tout coco meugnons, se réjouirent de voir leur mort ainsi vengée. En plus, le paradis des nains écrabouillés, qu’allait désormais rejoindre Bus, n’était pas très chouette de l’avis de ses habitants.
Finalement, la deux cent trentième flèche décochée par l’elfe sans nom parvint à crever l’œil droit de Dumbo, qui hurla de douleur.
– RHAAAAAA, MA LENTILLE DE CONTACT !
Sept secondes et quatre-vingt-douze flèches supplémentaires plus tard, Dumbo s’affaissa au sol pesamment, mort. Le choc fut très violent et la terre trembla. La tour de Glou Glou aussi, d’ailleurs, à tel point qu’elle s’écroula et ne fut bientôt plus qu’un tas de ruines informes.
– Oups, fit l’elfe sans nom.
MAIS (car tout bon auteur se réserve quelques rebondissements au cours de ses histoires, hé hé), Glou Glou avait eu le temps de s’entourer d’un bouclier magique de protection, et elle en avait même fait profiter Angela. Elles semblèrent donc voleter jusqu’au sol, et le bouclier magique disparut quand elles touchèrent le sol, tel la bulle de savon d’une machine à bulles à un euro dans votre magasin la Foir’Fouille.
Incarnations d’anges destructeurs, de bras armés de la justice, Brax et l’elfe sans nom s’avancèrent avec détermination vers Glou Glou et Angela.
QUAND SOUDAIN… un nuage surgi de nulle part cacha les deux femmes. Il disparut au bout de quelques secondes et un spectacle totalement inattendu médusa (je me demande si ce verbe a un rapport avec les méduses ?) nos deux derniers héros : ils avaient désormais deux princesses Angela devant eux.
– Comment on va faire pour trouver la bonne, Brax ?
– Euh… pile ou face ?
– Ça ne me semble pas très scientifique. D’un autre côté, on pourrait en tuer une au hasard et ramener l’autre au prince Fidelius.
– Pas bête, mais bon... Je sais ! Je balance une boule de feu sur l’une d’elles, et si elle parvient à l’arrêter, c’est que c’est Glou Glou !
– Et si c’est Angela ?
– Hum…
– J’ai une idée !
Au terme d’un bref conciliabule, ils tournèrent le dos aux deux princesses et se penchèrent sur le sac à dos de Brax. Ils en sortirent une liasse de parchemins et le parcoururent pensivement.
L’elfe sans nom dit :
– Waouw, tu as vu ce pull fait en côtes à mailles glissées ?
– Bah, c’est très moche à côté de ce bonnet en fausses côtes anglaises.
– Oh, regarde, la grande gagnante du concours de
Crochet-Magazine est Glou Glou, y’a son nom là !
L’une des deux Angela sauta de joie, les bras levés vers le ciel :
– Hiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii [cri de joie] ! J’ai gagnéééééééééééééé !
Elle retomba aussi sec moins de deux secondes plus tard, transpercée de trente-sept flèches tirées par l’elfe sans nom.
L’autre Angela, voyant la dépouille, cria à son tour :
– Hiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii [cri de peur] ! Un porc-épic géant !
– Pas de doute, c’est bien celle-là la princesse, soupira Brax.
Et parce que l’auteur n’est pas un monstre insensible, il terminera ce merveilleux conte de fée en disant que le retour fut une simple formalité, et que la princesse Angela put retourner dans les bras éperdus d’amour courtois de son fiancé de prince Fidelius.
Mais parce que l’auteur est quand même un monstre insensible, il terminera aussi ce merveilleux conte de fée en disant que peu après le retour d’Angela, on apprit que sa méchante belle-mère (oui, on l’avait un peu oublié, celle-là) était tombée enceinte du vieux roi. Forcément, dans ces sociétés d’antan misogynes à outrance, le principe de primogéniture masculine était à l’honneur, et Angela fut fort marrie de voir naître son petit frère neuf mois plus tard.
De ce fait, le nouveau prince devint l’héritier du trône, Angela déshéritée fut achetée par Fidelius, qui en fit une servante bien souillonne genre Peau d’Âne. Le vieux roi mourut peu après et la belle-mère épousa Fidelius. Ils vécurent heureux après avoir empoisonné le fils du vieux roi, et eurent beaucoup d’enfants bien à eux, cette fois-ci.