Série: DS9 (S. 6)
Personnage(s): Benjamin Sisko (feat Jadzia Dax)
Date: 2374
Un autre jour au paradis
Deep Space Nine, 2374Benjamin Sisko était sorti un moment de la salle de guerre où se montaient les offensives avec les alliés présents depuis que la station était devenue le quartier général de la neuvième flotte alliée. Il avait besoin de respirer un moment pour se recentrer. Le conflit ne prenait pas forcément un tour positif pour eux ces derniers temps, et il savait qu’il serait difficile d’en renverser le cours à moins d’une offensive décisive en forme de miracle. Mais avec l’entrée en guerre des romuliens, les choses allaient probablement enfin tourner en leur faveur, du moins il l’espérait. Il n’aimait pas vraiment leur façon d’être, mais il fallait reconnaître qu’au niveau des frappes, ils étaient efficaces. Cependant, il avait bien l’intention de les empêcher d’en faire trop, il était d’avis de bien cibler les frappes et non de les faire « à la louche », comme dirait son père. Le qualitatif prévalait sur le quantitatif dans le cas présent.
Il marcha jusqu’au bord du niveau supérieur de la Promenade, et son regard tomba sur un attroupement, au fond. Les listes de morts étaient arrivées ce matin, et il ne s’en passait pas une sans qu’il y reconnaisse quelqu’un. Parfois des camarades d’Academy, perdus de vue depuis des années mais dont le décès au combat ne le laissait pas indifférent, parfois des gens plus proches. Lui pour l’instant avait réussi à s’en tirer, mais pour combien de temps ? Il était parfaitement au fait que c’était une sorte de loterie dont il pourrait un jour ne pas sortir gagnant.
Contrairement à l’impression qu’il donnait, il n’aimait pas faire la guerre mais estimait que c’était un mal nécessaire. Difficile de se regarder dans un miroir, certaines de ses actions pèseraient sur sa conscience jusqu’à la fin de ses jours, mais il faisait toujours son devoir.
Son regard se déplaça de l’autre côté de la promenade. C’était là que se trouvait le bar de Quark, l’un des lieux principaux de divertissements de la station. A ce moment-là, il était rempli de beaucoup d’officiers dont les vaisseaux faisaient relâche sur la station pour réparation ou qui montaient pour repos du front, mais aussi de rares marchands encore assez courageux pour se risquer dans la zone de guerre. Un brouhaha en sortait, mâtiné de temps en temps d’un « dabo ! » tonitruant. C’étaient des moments de ce genre qui permettaient d’oublier l’horreur que tous vivaient sur le front, face aux Jem’hadars sans pitié. Lui-même appréciait cela, mais il parvenait à conserver son équilibre parmi ses proches et surtout en compagnie de son fils, Jake, et de sa petite amie, Kasidy.
La vie continuait malgré la guerre à l’extérieur, et c’était cela aussi qui formait la spécificité de Deep Space Nine. Bien qu’étant non loin des différentes lignes de front et constituant une des premières lignes pour la défense du quadrant alpha, elle était pour les équipages surmenés et traumatisés un petit havre de tranquillité. Et bien qu’il soit souvent en mission sur le Defiant, il devait reconnaître qu’il s’y trouvait bien. Dire qu’il voulait démissionner quand il y était arrivé, voici six ans. Ce n’était plus le même homme qui contemplait sa station. Il y était revenu plutôt récemment après qu’elle ait été reprise au Dominion, et c’était d’en avoir été éloigné qui lui avait fait constater à quel point cet endroit lui était devenu aussi cher qu’une maison. L’Opération Return avait cependant été difficile et avait coûté beaucoup de vies, et il ne l’oubliait pas, mais à présent qu’il était revenu sur sa station, il avait fermement l’intention de ne plus s’en faire déloger, quoi qu’il arrive. Pour que toutes ces vies sacrifiées servent à quelque chose.
Finalement, sa place était ici et non pas sur une station extérieure ou même nanti de n’importe quel titre ronflant, à la botte de l’amirauté. Il avait mis un point d’honneur à créer et gérer lui-même l’offensive qui lui avait permis de reprendre sa station, aidé des officiers qui l’avaient suivi et, indirectement, par la petite cellule de résistance qui s’était formée sur la station grâce à l’expérience de Kira. Sans eux, il n’y serait pas arrivé et DS9 croupirait encore entre les mains de l’ennemi.
Il était un homme d’action et un poste de « planqué » lui aurait fait ronger son frein plus qu’autre chose. On lui en avait proposé, et à chaque fois, cela ne lui avait pas convenu. Sa place était au cœur du combat, à bord de son petit vaisseau qui ne payait pas de mine mais encaissait les coups comme personne. Certains capitaines auraient pu penser que commander le Defiant n’était guère glorieux tant il était petit et ramassé, lui pensait tout le contraire. Car son vaisseau s’était toujours révélé fiable malgré sa petitesse, et il appréciait ce genre de chose pour en avoir vu trop partir en morceaux au cours de sa carrière. La taille du Defiant n’avait pas d’importance, mais il avait le cœur au combat de tous ceux qui le dirigeaient. Et Sisko savait qu’il n’aurait pas pu être mieux entouré. D’aucuns avaient jugé son équipage hétéroclite, mais il prenait cela comme un compliment. Ces gens étaient ses collègues, ses amis et il savait qu’ils le suivraient jusqu’à la fin de la guerre et au-delà, quoi qu’il arrive…
La rumeur s’enfla, des cris et des sanglots vinrent de l’extrémité de la Promenade. Des mères, des pères, des familles, des amis découvraient dans la douleur le nom d’un être cher sur la liste fatidique que tout le monde craignait en ces temps troublés. Il ne savait que trop bien ce qu’ils pouvaient ressentir, et ce moment bien trop régulier ces derniers temps faisait rejaillir en lui des souvenirs difficiles qu’il aurait bien voulu oublier. Il lui avait fallu beaucoup de temps pour faire son deuil, et il n’était pas vraiment sûr de l’avoir fait totalement, même s’il avait retrouvé maintenant quelque chose qui ressemblait à s’y méprendre au bonheur. Kasidy lui avait apporté un équilibre, de la tendresse, quelque chose qu’il avait pensé ne plus jamais trouver. Mais il aurait tout de même préféré que son fils, Jake, pourtant quasiment adulte, se mette à l’abri sur Terre. Mais il préférait exercer le métier de journaliste sur la station, et s’était lui aussi révélé plein de ressources pendant l’occupation par le Dominion. C’était à des choses de ce genre qu’il se rendait compte qu’il avait peine à voir son fils grandi et adulte. Il lui semblait que c’était hier qu’il était arrivé avec lui sur la station, et qu’il l’avait accompagné à l’école. Mais il allait devoir s’y faire…
Il détourna le regard de la Promenade, et laissa ses yeux errer dans l’espace profond, au-delà de la grande baie vitrée. Le vortex était sous surveillance, et il ne s’était plus ouvert depuis un certain temps, mais il savait que le Dominion possédait assez de forces de ce côté du quadrant pour faire beaucoup de dégâts. Il savait d’ailleurs qu’il avait créé une nouvelle version des Jem’hadars adaptée à ce quadrant, il les avait déjà rencontrés et savait quelle menace supplémentaire ils pouvaient représenter. La guerre était désormais totale, et elle ne se terminerait que par l’anéantissement de l’un ou l’autre camp, il en était sûr. Tout ça pour maintenir une paix relative, laisser les gens vivre en paix et surtout les étoiles briller tranquillement dans le ciel d’encre. Parce qu’elles, elles seraient toujours là, malgré la folie des peuples qui s’entre-déchiraient. Le spectacle était apaisant et il en remplit ses yeux, laissant le calme l’emplir tout entier.
Il regardait encore les étoiles quand Jadzia Dax vint le chercher.
« Benjamin, ils vous attendent pour travailler sur la suite de la nouvelle offensive… »
Le regard du capitaine se détacha avec peine du spectacle apaisant offert par le cosmos et se posa sur la jeune Trill.
« J’arrive, vieille branche. J’avais juste besoin de…faire le point, je crois… »
Mais Dax, avec trois cents ans de vie de son symbiote, ne s’en laissait pas aussi facilement conter.
« Quelque chose ne va pas, Benjamin ? »
Il secoua la tête.
« Non, j’avais juste besoin de voir autre chose pour un moment que ces cartes de stratégies et ces listes de morts qui ne désemplissent pas. Dehors, c’est si calme pour une fois… »
Jadzia Dax eut un sourire triste mais plein de sagesse. Malgré l’expérience de ses hôtes multiples, ce qu’elle avait vu pendant toutes ces batailles était toujours aussi difficile à supporter.
« Comme je vous comprends, Benjamin… », lui dit-elle calmement en regardant elle aussi un instant ces étoiles si lointaines qui brillaient doucement.
Benjamin Sisko tira sur sa veste d’uniforme.
« J’espère que les romuliens sont de meilleure composition, cette fois… »
Dax eut une grimace comique, et Sisko reprit :
« Allons-y avant de leur permettre de raser tout ce qui se trouve à plusieurs années-lumière autour des frontières de leur empire. Une catastrophe à la fois… »
Et ils tournèrent les talons pour retourner à la salle de guerre pendant que, depuis le bar de Quark, retentissait un sonore « dabo ». Un jour de plus au paradis, mais la vie du moins y continuait…
FIN