Cette fic présente un élément du passé de mon personnage du PBEM Star Trek Federation, qui a fait son internat durant la guerre du Dominion.
Merci à Msatler pour la couverture
Sur le front, rien de nouveau
Starbase 370, 2372« Mallory ! Debout ! »
Dans la pièce réduite qui servait de dortoirs aux internes, Vaiata Mallory, qui dormait du sommeil du juste dans sa casaque chirurgicale tachée sur un matelas posé à même le sol, sursauta. Il lui semblait qu’elle s’était endormie voici seulement quelques minutes. Elle réussit à lever sa tête qui lui paraissait de plomb et demanda d’une voix éraillée :
« Il se passe quoi ? »
Les yeux enfin ouverts avec difficulté, elle reconnut l’un des médecins titulaires.
« On a un arrivage… »
Ce simple mot suffit à la réveiller totalement. Un « arrivage », dans le langage employé sur cette base située non loin des champs de bataille, c’était un ou plusieurs transports remplis de blessés en provenance du front.
« J’arrive… », dit-elle au médecin qui retourna à son poste.
Voilà près d’un an et demi que Vaiata faisait son internat ici et elle ne soupira même pas. A quoi cela aurait-il servi ? Ces hommes seraient traumatisés, blessés dans leurs âmes et dans leurs corps, et elle en avait déjà vu des milliers. Le rôle des médecins, y compris des internes, était d’être une sorte de premier rempart émotionnel et il était très difficile de ne pas s’impliquer. Ces hommes avaient vu l’horreur, ils avaient vu leurs camarades tués sans pitié par les Jem’Hadars, d’autres se faire sauter la cervelle pour ne pas être pris et Vaiata, finalement, mesurait sa chance de ne pas se trouver directement en ligne de front comme certains de ses collègues.
Elle se leva, se passa de l’eau sur le visage et les mains, changea rapidement de casaque pour une propre et gagna la pièce qui allait servir de centre de triage à l’arrimage des vaisseaux. Les blessés allaient être classés par couleur, de vert, non urgent (jusqu’à trois heures) à noir, décédé à l’arrivée. C’étaient ordinairement les infirmiers qui se chargeaient du triage, et les médecins et les internes prenaient ensuite le relais.
Vaiata, d’un geste automatique, saisit une paire de gants et demanda à un autre interne :
« Ils arrivent quand ? »
Son collègue, un grand Bolian, posa un regard froid sur elle.
« D’ici cinq minutes, normalement… »
Médecins et internes, autour d’eux, présentaient tous des signes de fatigue avancée et Vaiata s’efforça de réveiller son cerveau, elle allait en avoir besoin. Comme tous les internes, elle était encore en phase d’apprentissage de son métier et de sa spécialité, la chirurgie, mais elle était traitée comme un médecin d’exercice. Rude façon d’apprendre sa pratique, mais il y avait eu tellement de médecins tués lors des combats que Starfleet Medical n’avait pas le choix.
Mais elle n’eut pas le temps de réfléchir davantage, le transport rempli de blessés arrivait et s’arrimait à la station. Un ballet plus ou moins bien orchestré commença alors par le sas et des civières portées par des infirmiers en sortirent pour aller déposer les blessés dans la pièce de triage. Il fallait se charger en premier de ceux qui avaient été étiquetés rouge ou jaune, dont certains avaient déjà reçu des soins de stabilisation, alors que les infirmiers se chargeaient de trier ceux qui ne l’avaient pas encore été.
Vaiata, qui commençait à être rompue à ce genre de travail, repéra immédiatement les étiquettes indiquant les cas les plus graves. Un garrot posé sur le haut d’une cuisse attira son attention. Là en effet, cas d’urgence s’il ne voulait pas perdre sa jambe, le garrot avait été posé voici déjà un bon moment.
Elle héla le chef de salle :
« Il y a un garrot posé, il faut intervenir pour réparer l’artère abîmée ou il perdra sa jambe… »
T’Sal, chirurgienne vulcaine de son état, leva un sourcil.
« Avez-vous déjà effectué ce genre d’intervention, cadette ? »
Cela relevait en effet de la chirurgie vasculaire, et Vaiata acquiesça :
« Oui, madame… »
Elle acheva de son ton impavide.
« Vous assisterez le docteur McPherson sur ce cas… »
Souvent, à présent qu’elle était plus avancée dans son internat, les médecins la laissaient parfois prendre le scalpel et suturer. Le chirurgien désigné vint prendre en charge et le soldat en pleine panique agrippa le bras de Vaiata :
« Je vais garder ma jambe, hein docteur ? »
Elle l’apaisa autant qu’elle put :
« On va tout faire pour ça, calmez-vous… »
McPherson, comme tous les autres médecins de la base, était débordé, fatigué et, de ce fait, peu aimable. Il rétorqua :
« Ne lui donnez pas de faux espoirs, Mallory, ça paraît mal engagé… »
Vaiata ne réagit pas, elle avait l’habitude des remarques peu amènes des médecins pour qui les internes faisaient office d’excédent de bagage qu’il fallait en plus former. Du coup, pour les jeunes médecins, toute intervention était bonne à prendre.
Une fois arrivés en salle de chirurgie, une infirmière de bloc prépara le patient pendant que Vaiata et McPherson s’habillaient. Une fois le malheureux soldat anesthésié et placé sous assistance respiratoire, ils lui enlevèrent très progressivement le garrot et vérifièrent que la jambe n’avait pas commencé à se nécroser au fur et à mesure qu’elle se ré-irriguait. Puis, à l’aide d’une autosuture, l’artère abîmée fut réparée sous le regard de Vaiata et le chirurgien vérifia qu’elle ne fuyait plus en faisant couler du liquide physiologique dessus. Pour refermer les chairs, McPherson tendit l’instrument à son interne.
« Allez, Mallory, apprenez… »
C’était moins glorieux que de faire de la chirurgie vasculaire, mais elle saisit l’occasion d’apprendre. C’était moins facile que ça en avait l’air puisqu’il fallait refermer de façon uniforme, sans laisser de zones creuses. C’était une intervention mineure mais que tous les médecins devaient savoir faire, spécialisés ou pas.
McPherson regarda l’écran.
« Il devrait garder sa jambe en l’état des choses, mais il n’est pas à l’abri de complications, il a gardé son garrot trop longtemps… »
La jambe avait repris une teinte presque normale, mais Vaiata voyait, à l’endroit du garrot, encore des tissus de couleur pâle. En effet, ce n’était pas si bon signe que cela vu que les zones en questions ne semblaient plus irriguées par le flux sanguin. Des cas de ce genre, elle en avait déjà vu plusieurs, dont certains qu’on avait dû amputer. Tout dépendrait de l’état général du soldat et de sa capacité à cicatriser.
Une injection de régénérant interne pour parachever le travail, et le patient fut dirigé vers ce qui servait de salle de réveil. Pas le temps de souffler, d’autres patients attendaient d’être opérés. Ils retournèrent à la salle de triage et prirent un charge un autre blessé. Celui-là avait reçu des fragments de métal dans le ventre, qu’il fallait ôter. McPherson le prit en charge immédiatement et, une fois le patient sur la table, anesthésié, interpella l’interne.
« Alors, Mallory, voyons si vous avez bien appris vos leçons. Que feriez-vous dans ce cas-là ? »
Un peu étonnée, car ce n’était pas son genre d’enseigner, elle répondit :
« Situation des éclats, pour commencer. Ensuite laparotomie externe pour les enlever sans endommager les organes autour… »
Le médecin afficha alors sur l’écran une vision de l’abdomen du patient. Mallory continua :
« On devrait pouvoir tous les enlever, en prenant en compte le fait que deux d’entre eux ont perforé le gros intestin et qu’il faudra envisager un traitement antibiotique pour que les germes qui y sont ne se diffusent pas dans la zone abdominale… »
Le pauvre soldat avait de la chance dans son malheur, le reste des organes, y compris la rate, avait été épargné. McPherson n’eut pas un mouvement mais parut d’accord avec elle. Il prit son scalpel et incisa la paroi abdominale, puis il tendit une pince à Vaiata :
« Allez-y, ôtez les morceaux. Guidez-vous sur l’écran, ça vous aidera… »
La sensation de succion de la chair vivante et humide était toujours difficile à appréhender pour elle, mais elle plongea sans hésiter bien qu’avec précautions dans le ventre du soldat. L’écran était précieux car il donnait aussi les constantes cardio-pulmonaires du patient mais retrouver les organes au toucher était relativement difficile malgré ses cours d’anatomie. Elle trouva enfin le premier morceau, le retira et le posa sur un plateau, avant de nettoyer la zone et de refermer la petite blessure. Elle procéda de la même façon pour chacun des autres, pour terminer par celui qui était enfiché dans l’intestin. Et là, elle put se rendre compte que ça n’avait rien à voir avec les simulations. En effet, le gros intestin bougeait et, même si du coup c’était rassurant sur l’état des fonctions physiologiques du patient, ça rendait les choses difficiles et elle se devait d’être précise pour ne pas aggraver ses plaies. McPherson semblait amusé, presque moqueur, mais elle choisit de se concentrer sur le patient en oubliant le médecin censé la former. D’une main, elle immobilisa quelques secondes la zone concernée, prit une pince, enleva le morceau et referma immédiatement la plaie qu’elle stérilisa et sur laquelle elle passa du liquide physiologique pour s’assurer qu’elle ne saignait plus. Puis elle vérifia sur l’écran qu’il ne restait plus de morceaux et commença à refermer en gardant toujours l’oreille attentive aux bruits du monitoring cardio-respiratoire.
McPherson intervint alors :
« On fera peut-être quelque chose de vous, finalement… »
Le connaissant, c’était d’une extrême gentillesse de sa part. Rien à attendre de plus. Elle acheva de refermer et le patient fut emmené en salle de réveil.
Quand ils revinrent en zone de triage, T’Sal interpella Vaiata :
« Vous allez en zone ambulatoire maintenant, des plaies à suturer vous attendent… »
La malédiction de tous les internes, tout ce dont les médecins titulaires ne voulaient pas. Il fallait juste espérer que les autosutures fonctionneraient, sinon elle était bonne pour faire les points à la main. En effet, en arrivant là-bas, il n’y avait qu’un médecin pour au moins cinq internes. Quand elle arriva, il l’apostropha :
« Hé bien Mallory, où vous étiez ? On a du travail ici ! »
Elle répliqua tranquillement en enfilant une paire de gants :
« J’étais sur une intervention avec le docteur McPherson, monsieur… »
Le grand andorien n’avait pas l’air content, ses antennes bougeaient en tous sens, donnant la mesure de son énervement. C’était Treib, l’un des médecins titulaires, donc les accès de colère étaient bien connus mais qui était un crack en traumatologie. Se trouver là à la mine environné d’internes devait très probablement le mettre en rage et il la passait sur les jeunes. Classique. Décidée à ne pas lui laisser perdre son temps, elle se dirigea vers le blessé le plus proche. Il présentait plusieurs lacérations, qu’elle examina. Deux nécessitaient une réelle intervention, l’autre juste un nettoyage et un passage sous un régénérateur dermique. On lui avait fait des pansements de fortune mais il fallait lui enlever ça pour éviter qu’il ne meure, cette fois, de septicémie. L’homme, alors, l’interpella :
« Ils envoient les mômes de l’Academy au casse pipe maintenant ? »
Vaiata réagit à peine. Ce genre de remarques, elle l’avait entendue cent fois de soldats aguerris et elle se contenta de répondre :
« Si vous voulez que je vous laisse vos pansements sales, libre à vous mais d’ici quelques temps, vous aurez une septicémie…Oui, une infection généralisée. Alors, ce sont les soins par moi, la gamine, ou rien du tout… »
Il se tut de mauvaise grâce et se laissa faire. Elle nettoya soigneusement les plaies, puis vérifia qu’il ne restait plus de morceaux métalliques avant de les refermer.
« Vous avez de la chance, vous survivrez pour cette fois… », dit-elle au patient désagréable, avant de passer au suivant.
Celui-ci était un tout jeune homme taciturne, aux yeux vides. Vaiata en avait vu passer des dizaines, de ces jeunes abîmés par la guerre. Il avait le bras en écharpe et un gros pansement couvrait son avant bras ainsi qu’une partie de son front. Il réagit à peine quand elle le salua et le scanna mais, d’un coup, il saisit le devant de sa blouse avec frénésie.
« Me coupez pas la tête, docteur, me coupez pas la tête… »
Habituée maintenant à ce genre de réactions de stress post-traumatiques, elle reprit d’une voix lénifiante :
« Non, pas du tout, je vais juste vous soigner, tout ira bien, vous êtes en sécurité ici… »
Une lueur de folie courait dans les yeux auparavant impavides du jeune homme. Au bout de quelques minutes, il se calma et relâcha la blouse de Vaiata. Mesurant ses gestes, elle lui enleva le bandage de son front et nettoya puis referma la large blessure qui s’y trouvait. Puis, toujours aussi tranquillement, elle s’occupa de son bras qui avait visiblement été abîmé par les armes tranchantes des Jem’hadars. Elle vérifia que l’os n’était pas atteint, que les articulations fonctionnaient bien, sans douleur pour le patient, puis referma chaque blessure avec son autosuture.
Avec un sourire, elle lui expliqua :
« Voilà, vous êtes guéri maintenant… »
Mais il ne sembla pas l’entendre, revenu à son état végétatif. Vaiata se dirigea vers Treib.
« Le soldat, là-bas…il lui faut une aide psychologique. Suspicion de SPT très avancé… »
SPT. Les trois lettres fatidiques. Ce que craignaient le plus aussi bien les médecins que les soldats du front. Depuis le début de son internat, elle en avait déjà vu beaucoup, y compris chez les médecins, qui présentaient des troubles psychologiques de ce type. Le front et la guerre n’épargnaient personne.
Vu l’état du soldat, Treib reconnut que le diagnostic de l’interne pouvait être exact, et il fit appeler un conseiller. Mais il savait très bien que ceux-ci étaient débordés et donc qu’il ne viendrait que lorsqu’il aurait le temps. Trop de ces hommes étaient abîmés psychologiquement.
Vaiata allait prendre en charge un nouveau patient quand un autre interne, une grande bolienne nommée Arnax, la retint :
« Alors, tu as opéré avec McPherson ? Il a été aussi désagréable que d’habitude ? »
Vaiata haussa les épaules.
« Pas plus que d’habitude, mais il m’a laissée faire une intervention quasiment complète… »
La bolianne hocha la tête :
« Tu lui plais, tu devrais tenter ta chance avec lui… »
Vaiata retint un soupir. Mais pourquoi les Boliens avaient tous la manie de tout ramener à la séduction ? Ils avaient, elle le savait, une vision plutôt large du couple et Arnax jouait parfois les entremetteuses. Mais là, vraiment pas son genre du tout. McPherson était peut-être un très bon chirurgien, mais il avait le double de son âge.
« Plutôt que de dire des bêtises, viens donc m’aider avec mon patient… »
Il fallait immobiliser la jambe du patient pour refermer les blessures et tous les infirmiers étaient occupés. Arnax, sans protester, s’exécuta et Vaiata put suturer les trois premières lacérations larges en n’oubliant pas de stériliser au maximum. Mais l’autosuture, très sollicité, s’arrêta de fonctionner. Vaiata, s’étant déjà trouvé dans cette situation, sortit d’une des poches multiples de sa tenue de chirurgie un kit de chirurgie stérile. Elle rassura le soldat :
« Pas d’inquiétude, vous aurez deux petites cicatrices mais nous les effacerons d’ici quelques jours une fois les fils résorbés. Vous n’aurez pas mal… »
Elle attrapa un hypospray, vérifia son contenu et procéda à une anesthésie locale. Puis elle enleva le pansement, nettoya la zone et commença à suturer d’une main la plus légère possible. Comme beaucoup d’internes qui se destinaient à une spécialisation chirurgicale, elle s’était beaucoup entraînée mais elle n’avait eu l’occasion de pratiquer cela sur le terrain que deux ou trois fois depuis qu’elle était ici. Cependant, elle savait que ses collègues qui avaient eu moins de chance et avaient été envoyés sur le front le faisaient assez souvent, elle avait déjà vu leur œuvre sur tel ou tel soldat blessé.
Un dernier nœud, et elle coupa le catgut avant de stériliser à nouveau la zone concernée.
« Voilà, c’est bien propre, ça va cicatriser maintenant… »
Arnax, l’autre interne qui l’avait aidée, ne se destinait pas à la chirurgie et elle lui fit remarquer :
« Tu ne trouves pas que c’est un peu arriéré de faire ça à l’ancienne ? »
Vaiata haussa les épaules.
« Non, il fallait bien qu’on pallie le problème des autosutures qui s’arrêtent régulièrement de fonctionner. C’est très ancien comme technique, ça nécessite plus de surveillance et de matériel mais ça reste très utile. Ils s’en servent souvent sur le front quand ils n’ont pas assez de matériel… »
Pendant qu’Arnax allait prendre en charge elle aussi un patient, Vaiata continua. Son patient suivant avait une plaie au pied qu’elle reconnut sans aucune erreur possible : comme beaucoup de ses camarades traumatisés par les horreurs du front, il s’était tiré dans le pied pour aller à l’arrière. Elle le salua, ne dit rien de plus et scanna le pied pour voir quels étaient les dégâts. En effet, il ne s’était pas manqué, le tir de phaser avait endommagé l’os du dessus du pied et une partie des ligaments et des muscles, heureusement sans faire de dégâts trop importants. Mais il lui faudrait un peu de rééducation pour retrouver des mouvements normaux.
Elle nettoya soigneusement la zone concernée et referma la plaie des deux côtés. Puis elle immobilisa le pied et injecta du régénérant interne pour faciliter la cicatrisation naturelle. Si les ligaments ne se ressoudaient pas correctement, il faudrait prévoir une chirurgie.
« Vous aviez d’autres solutions… », dit-elle seulement au jeune homme pour lui montrer qu’elle n’était pas dupe. Personne ici n’était jamais dupe de ce genre de blessures.
Il baissa la tête, mais ne répondit rien. Son regard était apeuré, comme figé par les atrocités qu’il avait dû voir sur le front. Elle inscrivit le traitement effectué et elle allait passer à un autre patient lorsque la voix forte de Treib résonna dans la pièce.
« Les internes, dix minutes de pause ! »
Vaiata n’avait aucune notion du temps, elle ne savait même plus quelle heure il était quand elle dormait et quand elle s’alimentait. Elle le faisait quand elle avait le temps de le faire et quand on lui en donnait l’occasion. Tous les médecins de la base souffraient de cette déstructuration temporelle mais il n’y avait aucun moyen de faire autrement.
Les internes épuisés filèrent au mess de la station, et les réplicateurs furent pris d’assaut. Pour Vaiata, un sandwich au poulet et un grand café très fort. Pas extraordinaire, mais elle était trop fatiguée pour commander un repas élaboré. Ils s’assirent autour de la grande table et l’un d’entre eux, qui était en dernière année d’internat, dit :
« Vous êtes au courant ? Il paraît qu’on passera notre examen final ici… »
Vaiata leva à peine la tête. Vu que la situation n’allait pas en s’arrangeant, aucun d’eux n’aurait le temps de se rendre à Starfleet Medical Academy pour les examens de fin d’internat. Pour elle, ce serait dans deux ans et quelques, mais elle avait déjà l’intuition que la guerre ne serait pas finie. Cela ne pourrait s’achever que par l’anéantissement total d’une des deux parties.
Elle acheva son sandwich, et retint un soupir. Etait-elle devenue si blasée en seulement un an et demi ? Après un sentiment de révolte profond face à l’horreur et au quasi abandon dont faisait preuve Starfleet Medical envers les bases éloignées, elle avait appris à gérer, à s’habituer à la présence de la mort. Les internes plus âgés résumaient cela en un aphorisme simple : parfois la vie continue, parfois elle ne continue plus. Il fallait lutter de toutes ses forces pour éloigner la mort, et savoir quand renoncer quand elle avait gagné. A défaut d’être encore autorisée à opérer seule, elle avait appris du moins cela durant la première année de son internat.
Elle avala quasiment d’une traite son café fort, et grimaça. Amer, mais pas d’autre choix pour parvenir à rester éveillée les prochaines heures, jusqu’à sa prochaine période de sommeil. Une fois en poste, elle n’aurait aucun problème à tenir des quarts à rallonge, c’était du moins un avantage.
Ashena, une rigellienne, lança alors, dans les dernières minutes de la pause :
« Hé, vous savez comment les grands pontes appellent les promotions en cours ? Des médecins de guerre… »
Ah, l’art du raccourci que pratiquaient les amiraux confortablement assis dans leur fauteuil, dans leur bureau terrestre climatisé avec vue sur les jardins de Starfleet Academy. Médecins de guerre, et puis quoi encore ? Médecin tout court, c’était déjà bien, même si les conditions de formation étaient plus que difficiles. Au moins, elle serait préparée à toute éventualité.
Mais la pause était finie, Treib venait les chercher.
« Allez les jeunes, à la mine ! »
La « mine » correspondait aux urgences d’un hôpital classique. On y trouvait de tout, du soldat malade des intestins à toutes les sortes de bobologie. Ces personnes n’étaient pas en danger de mort, mais excédées d’avoir attendu et passaient parfois leurs nerfs sur les jeunes internes. De plus, les infirmiers débordés ne pouvaient pallier tout, et Vaiata s’était déjà fait vomir dessus trois ou quatre fois, sans parler du reste. De quoi rendre le repas rapide qu’ils venaient d’avaler.
Treib distribua rapidement les cas, et Vaiata écopa d’un officier atteint de dérangements intestinaux, probablement attrapés en buvant de l’eau croupie sur la planète où il était stationné. On l’avait positionné sur un bassin que venait changer quand il pouvait un des infirmiers. Pas très réjouissant et surtout pas si anodin que ça car l’homme présentait des signes de déshydratation. De plus, ce qui inclina Vaiata au traitement rapide, ce furent les traces de sang qu’elle vit au milieu des dépôts intestinaux de l’officier. C’était donc sans doute possible la dysenterie, classique quand on avait bu de l’eau croupie. D’abord soulager les spasmes, réhydrater dans l’immédiat et rétablir l’activité normale de l’intestin, puis éradiquer les amibes par des injections de métronidazole. Remède ancien mais toujours aussi efficace.
Elle demanda des solutions de réhydratation, dont elle lui fit avaler une avec peine tant l’homme était affaibli, puis lui fit avaler un antispasmodique et fit une injection de métronidazole. Elle prescrivit des solutions de réhydratation durant au moins quarante huit heures et qu’ensuite on le mît sous perfusion de liquide physiologique. Il faudrait continuer le traitement de métronidazole durant quelques jours, voire une semaine si les amibes résistaient, mais il serait vite sur pied.
Elle perçut les ricanements de certains de ses collègues, mais n’en tint aucun compte. Une maladie était une maladie et il fallait la traiter, voilà tout. C’est sûr qu’il y avait plus agréable à examiner qu’une diarrhée sanguinolente mais c’était un symptôme très important. L’objectif était que le patient aille mieux même si, au début, elle avait systématiquement eu des nausées en face de ce genre de cas. Elle s’était habituée à présent mais sans devenir aussi insensible que certains de ses collègues et des médecins titulaires. Maîtresse d’elle-même, oui, mais sensible à la détresse de ses patients. C’était ce genre de médecin qu’elle voulait être et, sur le terrain, elle découvrait que c’était possible, même si ça restait impossible de ne pas s’impliquer, parfois trop.
L’un des infirmiers accourut alors et s’écria :
« Un autre transport arrive ! »
Le flux ne s’arrêtait jamais vraiment, et les internes levèrent à peine la tête. Ils savaient qu’ils avaient le temps de finir leurs soins avant de repartir en salle de triage.
Parce que sur le front, il n’y avait jamais rien de nouveau.
FIN