Les affres du commandement
Deep Space Nine, juillet 2376D’un œil quelque peu désabusé, le colonel Kira Nerys regardait la pile de PADDs qui se trouvait sur le coin de son bureau. A présent, voici que le gouvernement de Bajor aussi, en devenant plus stable, devenait procédurier et, comme elle gérait la station pour eux également, elle se retrouvait à s’occuper d’un tas de choses qui n’auraient pas dû normalement être de son ressort. Peu de détente donc et elle commençait à constater qu’en quelque sorte, même quand elle se trouvait en repos, son esprit restait occupé par son travail, y compris parfois la nuit où elle ne pouvait trouver le sommeil. Elle avait toujours eu la capacité de séparer assez nettement les deux mais, depuis qu’elle avait accepté de prendre la suite de Benjamin Sisko, elle devait bien admettre que cette capacité, avec l’augmentation de sa charge de travail et de ses responsabilités, s’était singulièrement émoussée.Le fait qu’il y ait eu beaucoup de mouvement aussi dans la chaîne de commandement avait aussi contribué à cela, elle avait dû en faire beaucoup plus que d’habitude et elle commençait à se dire que peut-être c’était un peu trop. Elle avait songé à aller en parler au docteur Bashir, pour qu’il lui prescrive quelque chose lui permettant de mieux dormir, mais sa fierté l’en avait empêchée, même si elle le connaissait bien et qu’elle lui faisait une totale confiance. Elle en avait vu bien d’autres, survécu à pire, elle tiendrait le coup encore une fois, quitte à prendre dès qu’elle pourrait lâcher les rênes à sa nouvelle équipe un peu de vacances.
Elle prit le premier PADD de la pile et commença à l’étudier jusqu’à ce qu’elle entendît le son de la sonnerie de la porte de son bureau. Elle leva les yeux, vit Ezri Dax et lui permit d’entrer. La jeune Trill lui était quelqu’un de proche et, en tant que conseillère de la station, celle-ci ne manquait pas d’ouvrage depuis la fin de la guerre. Mais, cette fois, Ezri ne venait pas pour parler de travail. Quand la porte s’ouvrit, elle s’aperçut qu’elle tenait un plateau sur lequel était posée une théière de terre cuite vernissée fumante accompagnée de deux pots de la même matière. Une bonne odeur de thé bajoran entra dans le bureau avec elle.
« Bonjour, Ezri. C’est gentil, mais je n’ai pas de temps pour ça… », dit Kira en levant le regard de son dossier.
Mais c’était sans compter sans l’obstination de la Trill. Elle posa le plateau sur un espace libre du bureau et fixa son regard gris sur sa supérieure.
« Mais si, tu as le temps. Prescription de la conseillère… »
Kira soupira et posa son PADD. Ezri versa un peu de thé dans les pots avant d’en tendre un à la Bajoranne. A l’odeur, elle reconnut un thé précieux de la province de Kendra, un de ses préférés.
Ezri but une gorgée pour l’encourager à faire de même, puis commença :
« Julian et moi pensons que tu en fais trop et que tu ne peux pas continuer comme ça sans y laisser ta santé… »
Kira haussa les épaules.
« Mais je n’ai pas le choix, il y a trop à faire maintenant. Tu sais comme tout a changé depuis la fin de la guerre… »
Oui, Ezri ne le savait que trop bien, ayant également évolué dans sa propre vie personnelle depuis quelques mois en devenant la compagne de Julian Bashir, mais elle subodorait que le fait de se noyer dans le travail était aussi une façon pour sa supérieure et amie d’oublier l’absence d’Odo.
Ezri hocha la tête.
« Je sais, oui, mais ce n’est pas une raison pour user ta santé. Comment seras-tu utile à la station lorsque tu seras alitée à l’infirmerie avec une anémie ou pire encore ? Odo n’approuverait pas de te voir te surmener ainsi… »
Kira détourna le regard. L’expérience des hôtes de Dax avait encore frappé. Bien sûr, Odo lui manquait énormément, mais elle pensait avoir admis qu’il devait accomplir son devoir. Est-ce qu’inconsciemment ce n’était pas le cas ?
Elle avala une gorgée de thé et regarda Dax.
« Bien sûr, il me manque mais il y a tant à faire ici. Entre la fin de la guerre, la reconstruction, la nouvelle administration du secteur et Bajor, je n’ai que peu d’instants disponibles pour me reposer… »
Elle hésita. Devait-elle lui parler de son problème d’insomnie ? Après un instant, elle se lança.
« Et même quand je peux me reposer, je ne dors pas beaucoup, je pense encore au travail… »
Ezri hocha la tête. Elle s’attendait à cette réponse, il suffisait de voir la tête de Kira pour s’apercevoir qu’elle ne dormait pas assez. Elle resta silencieuse un petit moment, avala encore une gorgée de thé avant de dire :
« Il y a eu trop de choses en même temps et tu n’as pas encore pris le temps de tout assimiler, c’est là qu’il faut chercher la cause de tes insomnies. De plus, avec les changements qu’il y a eu dans la chaîne de commandement et dans le personnel de la station, tu as hésité à déléguer parce que tu ne connaissais pas bien les gens, ce qui fait que tu t’es chargée de travail plus que tu ne l’aurais dû. Je sais que tu ne fais pas facilement confiance, Nerys, je le conçois parfaitement mais, pour être un bon officier commandant, il va falloir que tu y arrives un peu plus… »
Ah, le bon sens pénétrant et le sens de l’observation d’Ezri en étaient parfois effrayants mais, lucide, Kira devait reconnaître qu’elle avait raison. Avec l’arrivée de nouveaux officiers, elle était quelque peu restée sur la défensive jusqu’à ce qu’elle soit sûre d’eux mais, même lorsqu’elle l’avait été, elle n’avait pas su déléguer comme il l’aurait fallu. Il devenait nécessaire qu’elle rectifie le tir.
« Des suggestions, conseillère ? », demanda-t-elle alors.
Ezri secoua la tête.
« Oui. Premièrement, il va falloir que tu te ménages un peu plus et nous t’aiderons si tu en ressens le besoin, tu ne dois pas éviter de le demander. Deuxièmement, il va falloir revoir ton indice de confiance à la hausse envers tes nouveaux officiers et davantage leur laisser les coudées franches. Ainsi, tu auras plus de temps… »
Très simple à dire mais beaucoup plus difficile à mettre en place. Le regard noisette de Kira croisa celui d’Ezri et la jeune Trill lui sourit sans rien dire de plus. Pourtant, la Bajoranne sentit comme un poids qui s’enlevait de ses épaules. Comme c’était agréable de se savoir soutenue ! C’était quelque chose qu’elle n’avait que rarement ressenti dans sa vie mais elle mesurait à quel point c’était important dans des moments difficiles comme ceux-ci.
« Merci, Ezri… », dit-elle seulement alors que, derrière elle, par le hublot, le
Defiant passait lentement, de retour de mission. La vie continuait…
FIN